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"Faire évoluer nos comportements et nos représentations" : entretien avec Corine Pelluchon

Corine Pelluchon est professeure de philosophie politique et d’éthique appliquée au sein du département de Philosophie de l’Université Gustave Eiffel. Elle évoque ses sujets d’étude et ses derniers ouvrages, envisagés à travers le prisme de la crise sanitaire et environnementale actuelle.

 
Quelles sont vos principales thématiques de travail ?

Depuis 2009, je m’intéresse à la condition humaine dans sa dimension anthropologique, et plus particulièrement à certains aspects inséparables de cette condition : la corporéité, la vulnérabilité, notre dépendance à l’égard des autres et de la nature.

Par ailleurs, je cherche à enrichir le libéralisme politique né au XVIIe siècle et à compléter le projet des Lumières, en tenant compte des défis d’aujourd’hui : les nouvelles pratiques médicales et les biotechnologies, la cause animale, l’écologie, etc. Ces questions exigent que nous ne limitions pas l’éthique à nos rapports aux autres humains, que nous prenions en compte les conséquences que nos modes de vie ont sur les générations futures, les écosystèmes, les autres espèces, et que nous fassions évoluer la démocratie. Selon moi, l’écologie et la cause animale ne s’opposent pas à l’humanisme, mais impliquent un humanisme de l’altérité et de la diversité. Dans cette optique, j’ai travaillé notamment à partir des textes d’Emmanuel Levinas qui s’intéresse à des phénomènes échappant à notre maîtrise : la fatigue, la douleur, l’incorporation de nourriture, la relation à l’autre. J’ai aussi été beaucoup inspirée par la phénoménologie du vivant de Maurice Merleau-Ponty, qui considère les animaux comme d’autres existences.

« Consolider les acquis des Lumières pour élaborer un nouveau projet d’émancipation individuelle et collective »

 
En quoi la crise écologique souligne-t-elle de façon plus aiguë la nécessité d’un nouveau contrat social ?

Cette question renvoie au travail mené dans Les Nourritures. Philosophie du corps politique (Seuil, 2015). Dès qu’on prend au sérieux le fait que nous habitons la Terre et cohabitons avec les autres vivants, la protection de la biosphère et la justice envers les animaux deviennent des finalités du politique, lequel ne se borne pas aux rapports entre les humains. Mais dire cela ne suffit pas. Il importe aussi que les personnes changent leurs habitudes de consommation et leurs modes de production. C’est pourquoi, dans Éthique de la considération (Seuil, 2018), j’ai insisté sur le travail sur soi permettant d’être plus sobre et de faire de la transition écologique un projet de société stimulant, et pas seulement associé à des sacrifices.

Dans Réparons le monde (Payot Rivages, 2020), j’ai montré qu’une approche globale des problématiques que nous rencontrons (santé, animaux, environnement, justice sociale) est nécessaire. Nous sommes, en outre, à un moment où il faut décider de ce que nous laissons de côté et de ce que nous conservons afin de procéder aux restructurations qui s’imposent.

 
Pouvez-vous nous parler de Les Lumières à l'âge du vivant, votre dernier ouvrage paru ce mois aux éditions du Seuil ?

Il s’agit de placer les questions qui m’intéressent à un niveau civilisationnel. J’ai tenté d’élaborer un projet d’émancipation individuelle et collective qui consolide les piliers des Lumières passées (autonomie, démocratie, unité du genre humain, rationalité), tout en tenant compte des critiques que les postmodernes ont formulées à leur égard et des tragédies du XXe siècle – et, surtout, en contestant leurs fondements dualistes, notamment la séparation de la civilisation et de la nature qui a conduit à l’inversion du progrès en régression. Ces nouvelles Lumières promeuvent un nouvel universalisme non hégémonique, accueillant à la diversité des formes de vie et des cultures.

 

Son parcours en dates clés

  • Née en 1967
  • Agrégation en 1997
  • Thèse sur Leo Strauss en 2005 à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne
  • Passe un an à Boston University en 2006
  • Habilitation à diriger des recherches (HDR) sur « Bioéthique, écologie et philosophie politique » à l’Université Paris IV-Sorbonne
  • Depuis 2016, professeur à l’Université Gustave Eiffel