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Philippe Coussot : « S’aventurer sur des chemins que d’autres n’ont pas empruntés »

Lauréat d’une bourse du Conseil européen de la recherche (ERC), le physicien Philippe Coussot a développé ses recherches au sein du laboratoire Navier de l’Université Gustave Eiffel. Ses travaux en rhéologie font référence à l’échelle mondiale et il s’intéresse aujourd’hui aux milieux poreux. Entretien avec un chercheur toujours avide de nouvelles explorations.

Comment votre vocation de chercheur s’est-elle affirmée ?


Au départ, je ne me dirigeais pas vers la recherche. À ma sortie de l’école Polytechnique, intégré dans le corps des ingénieurs des Eaux et Forêts, j’aspirais avant tout à un poste qui me permettrait de vivre près de la montagne. L’élément déclencheur a été un stage à l’ONF (Office national des forêts) de Chambéry.

Des coulées de boues se sont produites dans la commune de Modane : elles ont envahi la zone industrielle, y provoquant d’importants dégâts. Ce phénomène, appelé laves torrentielles, survient lorsque ces boues très visqueuses qui se forment en amont du bassin versant sortent du lit du torrent dans la vallée.

Sur place, un ingénieur m’a expliqué que l’on ne disposait pas d’outils scientifiques pour décrire leurs écoulements et prédire les zones à risque. Durant ma formation, j’avais surtout fait de la physique théorique, qui concernait des objets que l’on ne peut ni voir ni toucher.

La recherche dans ce domaine m’intéressait peu. En revanche, me trouver face à un fluide aux caractéristiques inconnues a excité ma curiosité. J’ai entrevu la possibilité d’utiliser des savoirs que je maîtrisais pour comprendre des phénomènes physiques et résoudre des problèmes concrets. C’est ainsi que le comportement des laves torrentielles est devenu le sujet de ma thèse, soutenue en 1992.

D’ailleurs, mes travaux sur la prédiction de ces écoulements sont encore un peu utilisés aujourd’hui dans plusieurs pays, dont la France et l’Italie.

 

Pouvez-vous nous présenter les travaux que vous avez menés au sein du laboratoire Navier ?
 

Mon premier domaine de recherche a été la rhéologie, soit l’étude de la déformation et de l’écoulement de la matière. Je me suis essentiellement intéressé aux fluides à seuil, des matériaux dont la principale caractéristique est de pouvoir se déformer indéfiniment uniquement lorsqu’ils sont soumis à une contrainte supérieure à une valeur critique.

Ce sont, par exemple, les mousses, crèmes, vernis, peintures, gels, ciments, mortiers, colles, bitumes, ou encore les pâtes agro-alimentaires. Ces matériaux échappent à la simple distinction entre solides et liquides et bien qu’ils nous soient très familiers, la science était alors assez peu développée dans ce domaine.

Les travaux menés ont conduit à des découvertes concernant le comportement, les techniques de caractérisation, les écoulements, les instabilités hydrodynamiques et la physique de ces matériaux.

Depuis une dizaine d’années, je m’intéresse également aux transports en milieux poreux : imbibition, séchage, transports de particules et diffusion dans des matériaux modèles, des matériaux du génie civil ou encore des végétaux.

Globalement, l’originalité de mon approche dans ce domaine a été de privilégier de manière systématique l’observation interne des phénomènes, principalement par l’utilisation de la résonance magnétique nucléaire (RMN et IRM). Elle a permis de renouveler leur modélisation, par rapport aux approches standards généralement basées sur des observations globales.

Je suis attaché aux retombées sociétales de l’expérimentation scientifique.

Pourquoi cette évolution de la rhéologie vers les matériaux poreux ?
 

Il est vrai que ce type de bifurcation n’est pas très fréquent dans le monde de la recherche, où l’on a tendance à rester dans un domaine. Mais j’ai publié beaucoup d’articles et d’ouvrages sur les fluides complexes et je ressentais un besoin de renouvellement.

L’utilisation de la RMN au laboratoire Navier a été déterminante, par les possibilités qu’elle ouvrait, et qui me fascinent encore, de voir à l’intérieur de la matière, notamment les mouvements du liquide ou ses interactions avec la phase solide à l’échelle des pores.

J’aime m’aventurer sur des chemins que d’autres n’ont pas empruntés. Enfin, je suis attaché aux retombées sociétales de l’expérimentation scientifique. Identifier un phénomène physique nouveau est jubilatoire, le voir déboucher sur des applications concrètes est encore plus satisfaisant.

 

Un parcours honoré par de nombreuses distinctions

Les travaux de Philippe Coussot lui ont valu de multiples prix, parmi lesquels :

- En 2023, le prix « InterPore for Porous Media Research » de l’International Society for Porous Media, en reconnaissance de l’excellence de ses recherches sur les milieux poreux.

- En 2017, le grand prix Weissenberg décerné par la Société européenne de rhéologie, attribué pour ses réalisations exceptionnelles sur le long terme dans le domaine.

- En 2015, la Médaille d’argent du CNRS pour l'originalité, la qualité et l'importance de ses travaux dans le domaine de la rhéophysique.

 


 

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Laboratoire Navier