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Franziska Schmidt : "Faire parler les données pour prédire le comportement des ouvrages d'art"

Directrice adjointe du laboratoire Expérimentation et Modélisation pour le Génie Civil et Urbain (EMGCU), Franziska Schmidt mène des travaux sur la vulnérabilité des ouvrages d’art. Rencontre avec une ingénieure-chercheuse dont l’expertise permet de faire face au vieillissement de nombreuses infrastructures et à l’évolution de leurs conditions d’utilisation.

Pouvez-vous nous présenter votre domaine de recherche ?

Je travaille sur l’évaluation de la réponse des ouvrages d’art aux actions évolutives, c’est-à-dire à l’évolution de leurs usages dans le temps. Dans notre pays, beaucoup d’infrastructures ont été construites après la Seconde Guerre mondiale et elles sont donc entrées dans la deuxième moitié de leur vie. L’enjeu est d’estimer combien de temps elles pourront continuer à être utilisées sans danger.

Par ailleurs, les contraintes que supportent les ouvrages d’art ont évolué, même ces dernières décennies. Par exemple, les modèles de charge actuels pour le dimensionnement des ponts ont été développés dans les années 1980, à une époque où les poids lourds étaient en majorité dotés de quatre essieux et avaient un poids maximal de 38 tonnes. Or, à l’heure actuelle, le trafic est composé à environ 75% de camions avec cinq essieux et pesant 44 tonnes au maximum. Qui plus est, le volume de trafic routier a augmenté. Afin d’évaluer le comportement des ouvrages soumis à ces évolutions, je réalise des calculs de vulnérabilité en croisant des informations statistiques sur les structures et des informations sur les actions. 

Notre laboratoire a développé une grande expertise en recherche et développement. Elle nourrit les travaux très concrets que je mène conjointement pour le Cerema et qui alimentent en retour mes réflexions sur les besoins en R&D à l’Université Gustave Eiffel. J’attache beaucoup d’intérêt à cet échange, qui s’avère très fructueux.

« Grâce aux mesures faites en temps réel sur les ouvrages, j’essaie de prédire leur comportement futur, et ainsi de déceler des anomalies ou évolutions. »

Vous êtes aussi data scientist. Cette approche est-elle nouvelle dans le monde du génie civil ?

Effectivement, j'essaie de contribuer à l'introduction de ces méthodes de traitement de données dans le domaine du génie civil. Les approches basées sur le recours à l’intelligence artificielle sont devenues plus utilisées dans ce domaine depuis environ cinq ans. Elles sont donc récentes, mais de plus en plus de mes collègues de l’université s’intéressent à l’IA, notamment au machine learning.

Sur ce plan, ma carrière a débuté de façon assez inattendue. En 2015, j’ai commencé à utiliser des fichiers de trafic recueillis grâce aux capteurs installés dans les routes, afin de calculer le poids et les dimensions des camions qui les empruntent. Cette approche a intéressé la société Michelin, qui souhaitait concevoir au plus juste ses pneus, et les modèles économiques associés. J’ai donc dû apprendre à analyser de grands volumes de données en autodidacte, avant de suivre une formation qui a débouché sur une certification de data scientist en 2018. Aujourd’hui, grâce aux mesures faites en temps réel sur les ouvrages, j’essaie de prédire leur comportement futur, et ainsi de déceler des anomalies ou évolutions.

 
Vous travaillez également sur la réduction de la vulnérabilité des ouvrages aux risques climatiques. En quoi menacent-ils leur intégrité ?

Le changement climatique est devenu un sujet incontournable pour notre labo. Les risques sont principalement liés au comportement des cours d’eau. Nous assistons en effet à la multiplication d’épisodes extrêmes tels que les crues, qui affectent la stabilité des structures, comme l’ont illustré les ravages causés par la tempête Alex dans la vallée de la Roya en 2020.

J’étudie en particulier le comportement des ouvrages d’art face aux affouillements, qui désignent un type d’érosion des appuis des ouvrages. Le phénomène existe aussi dans des cours d’eau en apparence calmes, comme la Loire, mais où l’action de l’eau creuse des fosses au pied des piles des ponts. Celles-ci risquent alors de se retrouver à nu et fragilisées.

 

Un mot sur vos nouveaux projets ?

J’aborde une nouvelle étude basée sur les poids lourds à motorisation électrique. À l’inverse de l’utilisation desdonnées issues des ouvrages d’art, c’est l’analyse du comportement dynamique du véhicule en lui-même qui nous renseignera sur le comportement de la chaussée et des infrastructures avec lesquelles il interagit. Les camions de dernière génération sont bardés de capteurs. Pour notre approche, ces poids lourds électriques présentent aussi l’avantage de rouler à poids constant sur un trajet donné, à la différence des camions à moteur thermique dont le niveau d’essence varie. Autant d’opportunités d’exploiter de nouvelles informations !

 

Son parcours en dates clés

  • 2022 : lauréate du Prix de l’AFGC pour l’ensemble de ses travaux
  • 2021 : directrice adjointe du laboratoire EMGCU
  • 2018 : certification de data scientist
  • 2017 : habilitation à diriger des recherches en génie civil
  • 2009 : ingénieure - chercheuse à l’Université Gustave Eiffel (anciennement Ifsttar et LCPC)
  • 2009 : thèse de doctorat à l’INSA Lyon
  • 2005 : diplôme d’ingénieur à l’ENTPE